Radio-Télévision Isanganiro

Isanganiro,19 ans : pourrait-elle atteindre un demi-siècle, un siècle ?

Depuis 2002 à ses débuts, rivières et lunes sont passées. Isanganiro est encore jeune, vulnérable, mais elle n’est plus adolescente. Elle a affronté milles et un défis, y compris la fermeture, et de ses robinets financiers, et de ses portes. Des cas juridiques. Elle renaît encore et encore. Mais quelles sont ses forces ? Ses auditeurs, ont-ils droit à lui espérer longue vie ? Audace Machado, un des anciens de Isanganiro, nous partage de ses souvenirs et espoirs. Actuellement, il est prospecteur audio-visuel à la BBC Academy.

Tu te rappelles de ton dernier jour à Isanganiro ?

A. Machado près du mur des lamentations, en pleine session de formation sur les médias et les changements sociétaux

 Je me rappelle que c’était un lundi matin de l’an 2013. Lundi matin, parce que j’avais pris l’habitude de proposer un matinal et particulier début de semaine aux auditeurs. Alors, je devais partir loin, laissant derrière moi ce qui était devenu ma zone de confort, un autre chez moi.

 

 

 

On y reviendra, mais jusque-là, que fut Isanganiro pour toi ?

Très, très difficile à y répondre [un court silence]. J’ai eu la chance de collaborer avec d’autres radios de la sous-région et d’ailleurs, mais je dois avancer, disons 3 aspects. Jusque-là, ça m’a paru être, primo un outil rarissime géopolitique et de construction de la paix. Secundo, côté institutionnel, quelle organisation! Un “brand”, disent les anglophones. En tout cas, incomparable, du peu que j’en connais dans la sous-région. Tertio, un cadre humain et innovateur, très particulier. Et tout cela est absolument vérifiable.

Allons-y !  Tu parlais, j’ai noté, d’”outil de la paix” …

Tout à fait. Ça peut paraître banal pour les non-initiés, mais partons juste de quelques dénominations de programmes : “Burundi murima w’isangi” ou “Burundi, terre pour tous”. “Duce akenge runtu” qui projette une éducation humaniste. “Ntunganiriza” ou “rends-moi justice”. Je ne me limite qu’à ceux-ci. Une moralisation de la société !

Plus encore, au-delà des noms de programmes, pensons au contenu. Du solide. Par exemple, “Jirani ni ndugu” produite par le Centre Lokolé de la RDC. Je me rappelle que non seulement ce sont des réalités heureuses et malheureuses de nos communautés, mais les gens y apprenions que même ceux qui vivent sur des îlots, doivent apprendre à vivre ensemble.

Limitons-nous à ça, pour démontrer cette particularité journalistico-communicationnelle importante à la sous-région qui en a tant besoin.

Après, c’est au-delà des frontières. Sais-tu qu’avec l’émission “Génération Grands-Lacs”, ce programme de trois pays, de manière simultanée ou live, on collectait des témoignages de certains Rwandais ou Congolais qui ont appris à traverser les frontières ?

10 ans, 19 ans, tu as évoqué, pas une radio, mais une institution…

Écoutes, c’est une affaire de cause à effet. Dans mes recherches sur le leadership, communication et les médias, j’ai appris un mot très important: “Trust”, très valeureux chez les Anglais. Crédibilité ! Si tu permets, je vais me limiter à quelques faits.

Une anecdote [rire]: je n’oublierai jamais Fiacre Munezero, se levant pour séparer deux acteurs politiques,

“Isanganiro est une fabrique locale du vivre ensemble”, défend Machado.

littéralement au bord d’une bagarre. C’était lors d’un enregistrement du débat “Kunama”. Les auditeurs auront sûrement senti la tension, mais la partie incidente sera remplacée par le jingle “Inama isumba ingimba”,

[le dialogue vaut mieux que la violence].

Quatre ans plus tard, un vendredi 30 Mai 2008, Agathon Rwasa rentre de l’exile.

Tout un événement au Burundi. Coordination des Nations-Unies, de la communauté internationale. Des millions de burundais se réjouissent. Le même weekend, Dieu seul sait qui, le matin, n’écoutait pas Isanganiro quand, sous la garde Sud-africaine, Agathon goûtait aux odeurs des studios de cette radio, et aux questions de Gabriel Nikundana et de Frank Kaze, si j’ai bonne mémoire.

Autre fait, et juste deux ans après, qui expliquerait pourquoi le Professeur Paul Ngarambe passait tout le temps possible dans les studios de Isanganiro lors des élections de 2005 ? Réponse simpliste : parce que c’était la synergie des médias. Et alors ? Pourquoi était-elle coordonnée depuis ces studios-là ? [Rire].

Autre anecdote, c’était dans ces mêmes studios que l’opinion jugeait une discussion publique entre feu Jean Bikomagu et Adolf Nshimirimana. Ou encore, un débat entre trois anciens Présidents à la fois, feu Pierre Buyoya, Domitien Ndayizeye et Sylvestre Ntibantunganya.

Mais encore, rappelez-vous-en, feu Président Pierre Nkurunziza fera son premier échange public avec les burundais, depuis Isanganiro. Et, des Ambassadeurs, citons Pamela Sluts, Li Changlin, Joseph Weis, Jozef Smets, l’africaniste Mamadou Bah…, ils venaient volontiers à l’Isanganiro, soit pour répondre soit pour éclairer certains points.

Dernier exemple et très important, je me rappelle d’un débat houleux auquel prenait part l’actuel Chef d’État, Evariste Ndayishimiye, alors chef de cabinet militaire à la présidence.  Depuis le “White stone”, grâce au studio mobile, il avait accepté mon invitation. Face à lui, il y avait aussi qui F. Bamvuginyumvira, qui A. Sinduhije, qui Pacifique Nininahazwe et une autre dizaine d’acteurs politiques et de la société civile, y compris des religieux, sur un sujet de sécurité. Des représentants de certaines ambassades prenaient part à ce genre de panels. Inès Kidasharira depuis Muyinga, Spès Kabanyana depuis Bubanza, elles aidaient des citoyens à intervenir. Mais, c’était un niveau de liberté d’expression hors du commun, en Afrique !

Bref, depuis Isanganiro, ce sont juste quelques faits politiques à partir desquels, les burundais pouvaient espéraient, et espèrent, je crois, la fin de la violence physique et politique, mais à la démocratie et à un avenir paisible.

Tu as parlé de Isanganiro comme medium particulier, a-t-on le droit de s’en vanter ?

En effet, et à mon goût, tu n’as pas tort, parce que tout est une question de leadership, d’organisation et d’engagement humains.

Côté professionnel, quand je suis parti, Isanganiro faisait parler d’elle dans le concert des nations : deux ans successifs ! Les Chefs d’État et de gouvernement de la communauté COMESA, devaient commencer à se questionner sur ce qu’ était ce medium. “C’est un média leader dans les Grands-Lacs”, répondais-je à la question d’une femme leader, lors d’une présentation à la Jeannette Rankin Peace Center. Pourvu que ce leadership se développe et dure.

Faut croire que les temps et les contextes changent, qu’est-ce que t’en en penses ?

J’y crois aussi. Mais les bases sont là. Les défis aussi. Maintenant j’entends de nouveaux noms brillants, mais j’ai vu des professionnels incroyables. Une Hortense qui faisait découvrir certaines réalités de la vie des enfants de la rue, parce qu’elle leur avait rendu visite dans leur terroir, la nuit.

J’ai vu qui un Stany Mwero -qu’il repose en paix-, qui une Amandine Inamahoro et autres, rater des repas parce qu’il y avait des programmes à apprêter, absolument. J’ai vu une Ndihokubwayo ou Kaze, enceintes, ou encore un Nzikobanyanka, comme un Aubin, un Arcade et autres, courir derrière une information malgré des intempéries, ou sacrifiant leurs weekends. Rwamo Michel, – “le caterpillar”-, Ndayizeye, Kinwanguzi, Hatungimana, Yussuf, Mitabaro et plein d’autres; ils n’hésitaient pas non-plus.

Tout le monde connaît le multilinguisme de Balen, de Bankukira ou de Pablo. Ce sont de ces hommes et femmes de terrain, assistés des acteurs silencieux, de Séraphine aux génies de Radja, Eric, Albert etc., aux manettes. C’est sûrement un bon lègue de leurs aînés reporters, correspondants ou présentateurs comme Nduwimana, Bitariho, Kanyange et autres qui sont encore là.

Quelle grandes leçons tirées de ton expérience à Isanganiro, et quel avenir lui trouves-tu?
A. Inamahoro s’entretient avec un père d’une jeune fille albinos tuée pour des raisons d’obscurantisme. P. Cubahiro collecte des opinions de citoyens sur des questions d’auto-développement.

Écoutes, plusieurs leçons ! D’abord, on y apprend que le vrai journalisme est un métier, et non un travail. Et puis, Isanganiro a montré qu’elle n’est pas nécessairement qu’un simple média. Célébrant les 10 ans, on a embarqué des dirigeants du pays, des ONGs, des entrepreneurs, des citoyens dans un projet humanitaire unique. Certainement qu’on a contribué à sauver des vies humaines [rire].

Côté humain, avez-vous vu la photo de Nsavye, protégeant une fillette perdue, en pleine crise de 2015 ? Quel humanisme ! N’est-ce pas aussi unique d’avoir un humanitaire comme Christine Ntahe aux ondes de Isanganiro les dimanches ? Côté culture, nulle part ailleurs, verrons-nous un méga projet tel “Isanganiro Awards”. Excellent l’expliquerait mieux que moi. Et ce n’est pas pour rien que des fonctionnaires internationaux, des chefs de projets, des cadres du monde diplomatique, instituteurs académiques, etc., sont recrutés chez Isanganiro.

Au début, je parlais de crédibilité. Je vais dire que pleins de travaux de recherches académiques réfèrent à des programmes de Isanganiro. Sur ce point, j’inviterais des écrivains à approcher une source très silencieuse mais authentique : qui connaît mieux des réalités de ce Burundi que Saidi ou ses collègues chauffeurs de Isanganiro ?

J’ai trop parlé, mais je voudrais dire enfin que des défis il y’en aura toujours, surtout avec le monde politique. Dans un travail académique, c’est ce que je conclus comme “associés-rivaux”. C’est historique. Seulement l’adaptation et le professionnalisme restent la meilleure protection. Sinon, à l’heure du multimédia, je félicite encore le leadership de Isanganiro pour l’autre projet, pas fastoche mais incontournable : la télévision. Nous avons besoin de voir ! Et surtout, le monde étant très dynamique et interconnecté, vous avez des bases, abusez d’elles pour vous faire des partenariats dans le monde.

En ce moment, je souhaiterais à Sylvère Ntakarutimana et son équipe de garder tête haute. Car, de Jeannine à feu Nkeshimana, passant par Manirakiza et leurs conseillers, vous avez une excellente fondation.

Ça te manque, hein ? Revenons à ton départ : ça devait être une matinée émouvante, n’est-ce pas ?

[Rire] Ce fut toute une vie professionnelle, toute une vie sociale, tout un cadre de réseautage, tout un cadre d’apprentissage des réalités de mon pays, de la région des Grands Lacs, de la géopolitique en générale. Je me rappelle que je l’ai annoncé, sans trop de précisions, mais sous le fond sonore de “Salut” de Michel Sardou, avec l’assistance technique de Théodomire Manirambona. Derrière lui, de l’autre côté de la vitrine, il y’avait Hassan Juma et Gustave Ndikumana, les deux éternels matineux que j’ai connus dans la boîte. Ils assistaient à un “one man show” retenant ses larmes [rire].

Et puis vinrent Issa le lunetté, Muhorakeye et Amissa [silence], toujours derrière la vitrine, je vis approcher feus Niyondiko et le directeur d’alors Vincent, que Dieu ait leur âme. “Pourquoi tu l’as annoncé avant moi ?”, lança Vincent. A quoi je répondit, “C’était juste pour nos auditeurs”.

 

Merci beaucoup

Merci pour l’invitations, et félicitations encore !

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