Burundi: jeunesse et manifestations politiques cachent un avenir incertain

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    Faire de la politique est un droit reconnu à tout citoyen majeur. Au Burundi, la liste des textes légaux s’allonge pour accorder à la jeunesse le droit de s’enrôler pour être militant d’une formation politique. Malgré cette base légale, des hommes politiques ou membres de la société civile s’accordent sur les inconvénients que représente cet embrigadement de la jeunesse, si l’exercice de la politique se caractérise par l’ignorance de la loi et de l’intolérance politique. Pour d’autres, l’essentiel est de procéder au bon choix de l’idéologie de l’homme politique à suivre. Lors de la crise de 2015, des milliers de jeunes politisés sont morts.


    {Les jeunes sont appelés de manière belliciste ”forces vives de la nation” par leurs partis. Ils se retrouvent en première ligne et un excès de zèle peut les faire déraper. En cas de mauvaise conduite, leurs états-majors n’hésitent pas à ouvrir leurs parapluies.}

    Emmanuel Minani, 31 ans, habite l’une des communes de la province Bubanza, à l’Ouest du Burundi. Depuis 2009, il était militant du parti MSD (Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie) dirigé par Alexis Sinduhije, actuellement en exil. Ce jeune, d’un air ondé de choc, affirme avoir connu la prison centrale de Mpimba à Bujumbura. Six mois d’incarcération. “J’ai été tabassé et torturé, c’était pour me contraindre à quitter le MSD. Certains de mes compagnons sont en exil alors que d’autres sont morts. Pour d’autres, on est sans nouvelles d’eux”.

    Ce jeune homme témoigne de son emprisonnement en raison de son appartenance politique.
    “Ma famille vivait sous les menaces, dans une peur panique. Elle a dû fuir le pays car elle était accusée d’avoir un garçon qualifié d’assassin. Mon grand frère a été lynché à Bujumbura en 2015″, se lamente-t-il.

    Emmanuel Minani se rappelle des manifestations de 2015 lors desquelles son frère a perdu la vie, ainsi que beaucoup de ses amis à cause de leur militantisme. Lui-même regrette avoir abandonné ses études. Aujourd’hui, se lamente-t-il, sa vie est déplorable : ”J’espérais devenir un cadre du pays”.

    {{S’enrichir grâce à la politique, une vocation?}}

    “Au Burundi, la création des partis politiques s’est accélérée. Avec une superficie de moins de 30 000 kilomètres carrés, le pays compte une quarantaine de partis politiques. Les fondateurs cherchent à se procurer de la richesse le plus vite possible”, précise Domitien Ndayizeye. L’ancien Président de la République considère l’État burundais comme une “usine” pour ceux qui veulent s’enrichir le plus vite possible. Et les jeunes prennent l’exemple de leurs aînés, d’où leur course à la politique.

    L’ancien Président ajoute également que les jeunes chômeurs représentent un pourcentage important au Burundi et que leur recrutement devient trop simple. Les jeunes de 15 À 29 ans représentaient près de 73,2% de la population en 2008 et le taux de chômage de cette tranche d’âge était de 65,4% en milieu urbain contre 55,2% en milieu rural, selon l’étude du REJA (1) validée en novembre 2016 sur la situation de l’emploi des jeunes. Pour Domitien Ndayizeye: “Les jeunes suivent les hommes politiques pour se soumettre dans l’espoir de gagner leur vie par nomination ou par recrutement népotique.”

    {{Les aînés, miroir des générations futures}}

    Depuis l’indépendance du Burundi en 1961, la jeunesse est enrôlée dans la politique. “Si la politisation de la jeunesse signifiait vraiment la participation de cette couche à la politique, le pays aurait un avenir meilleur”, explique Léonce Ngendakumana, vice-président du parti Sahanywa Frodebu.

    L’ancien président du Burundi, Sylvestre Ntibantunganya, rappelle quant à lui les nombreux exemples du passé pour illustrer les jeunes dirigeants qui se sont succédés à la tête du pays. “Le roi Charles Ndizeye a été intronisé au pouvoir à 17 ans, le Colonel Michel Micombero a été investi Président de la Première République à 26 ans et l’ancien Président Jean-Baptiste Bagaza à 30 ans. Les jeunes en pleine activité politique qui veulent réussir la carrière doivent nécessairement être responsables, car la grande majorité de ceux qui ont été à la tête du pays faisait parti de la catégorie des jeunes”, souligne Sylvestre Ntibantunganya.

    De son côté, Gashatsi Abel, président de l’Uprona, mentionne également le prince Louis Rwagasore, qui a consacré sa vie à la lutte pour l’Indépendance du pays.

    “Aujourd’hui la politisation des jeunes n’a plus son sens propre”, déplore Léonce Ngendakumana du parti Sahanywa Frodebu. “La jeunesse est instrumentalisée. Bonjour la manipulation des jeunes par les pouvoirs publics visant à se maintenir au pouvoir, par les formations politiques aspirant au pouvoir et qui exploitent la force de la jeunesse, malheureusement sans tenir compte de leurs aspirations!”

    En agissant de la sorte, les hommes politiques ne préparent pas un bon avenir au pays. Therence Ntahiraja, porte-parole du ministère burundais de l’Intérieur, va même plus loin : les hommes politiques préparent plutôt un avenir incertain au pays. Il appuie son propos en se référant au passé et énumère les massacres et la participation des jeunes dans les différentes formations politiques:

    -* Massacres de 1962 : implication des JNR
    -* Massacres de 1972 : implication des “Jeunes Révolutionnaires Rwagasore” (JRR) du parti Uprona
    -* Évènements de 1993 : implication des jeunes du parti Frodebu ou “JEDEBU”, des JPH (Jeunes patriotiques Hutu du FNL) et des sans échecs
    -* Crise de 2015 : implication des “Imbonerakure” du parti au pouvoir CNDD-FDD et d’autres.

    En raison de leurs méconduites politiques, ces jeunes n’ont pas connu une célébrité aussi plaisante que celle de leurs aînés évoqués précédemment. “Si la jeunesse est impliquée dans les maux, à la longue elle regrettera d’avoir été auteure d’une série des maux. Au contraire, si elle est utilisée pour la reconstruction du pays, elle sera nommément citée et servira de bons exemples pour le pays”, analyse l’ex-président Sylvestre Ntibantunganya.

    “Si la jeunesse est entraînée dans une mauvaise politique où on lui apprend à manier les armes, la division et la haine comme il a été remarqué au Burundi, des conséquences graves ne tardent à se produire pour ces jeunes et même pour le pays”, explique Tatien Sibomana du parti Uprona (non reconnu par l’actuel ministère de l’Intérieur). Lui aussi fait le constat que “des milliers des jeunes ont été tués, portés disparus, que d’autres ont été emprisonnés, restent sous les verrous ou encore se sont expatriés”.

    {{Les jeunes drogués de politique}}

    Lors des manifestations de 2015 convoquées par l’opposition et la société civile anti-troisième mandant du Président Pierre Nkurunziza, une partie des manifestants, en majorité des jeunes, avait consommé des drogues. Une information confirmée par Therence Ntahiraja, porte-parole du ministère burundais de l’Intérieur, ainsi que par le vice-président du Frodebu Léonce Ngendakumana.

    “Avec ces stupéfiants, les jeunes militent assidûment et hardiment et agissent sans précédent”, précise un psychologue burundais sous couvert d’anonymat. Par la suite, beaucoup de jeunes ayant consommé des stupéfiants ont du subir des traitements psychologiques au risque de devenir des malades mentaux dans un centre neuro-psychiatrique de Kamenge dit chez Logentil.

    Selon Léonce Ngendakumana du Frodebu, la jeunesse a été entraînée dans de mauvaises politiques. Et ce processus rend incertain l’avenir de ces jeunes ainsi que l’avenir du pays. Pour Gashatsi, président de l’Uprona, même verdict: les jeunes entraînés dans le mal sont une bombe à retardement pour le pays alors que, stimulée sur une bonne voie, la jeunesse est le moteur du développement du pays.

    Selon Nancy Ninette Mutoni, chargée de la communication au sein du parti au pouvoir CNDD-FDD, la jeunesse doit se mettre en tête ce que le pays attend d’elle : [un avenir
    meilleur et servir de miroir aux générations futures.->https://www.youtube.com/watch?v=3k4BU3xCUEs]

    {{Imbroglio juridique autour de l’engagement des jeunes en politique}}

    La constitution burundaise prévoit une entrée en politique à l’âge de 18 ans. “A partir de cet âge nubile, un jeune est assimilable à un adulte et capable de distinguer le bien et le mal”, se prononce Therence Ntahiraja, porte-parole du ministère burundais de l’Intérieur.

    “Les règlements d’ordre intérieur régissant les partis politiques et les statuts des formations politiques donnent l’autorisation aux jeunes d’être dans la politique”, précise de son côté l’ancien président Ntibantunganya. Tatien Sibomana du parti Uprona rapporte quant à lui que la Constitution de 2005 autorise effectivement les jeunes à participer à la politique, à l’exception des élèves et écoliers. Le président de l’Uprona, Gashatsi Abel, recommande à cette population de force vive de bien maîtriser la loi afin de ne pas s’exposer à des conséquences néfastes.

    {{La vie politique ne réserve pas le même avenir à tout le monde au Burundi. Certains connaissent bonheur, fortune et enrichissement après leurs années d’engagement. Pour d’autres jeunes politisés, la finalité est la misère. }}

    Rêverien Ngenzebuhoro est un démobilisé de la Force de Défense Nationale du quartier Sanzu de la ville de Ruyigi, dans la localité appelée communément Budagi, sur la route qui mène vers la sous-colline Makombe de la colline Ngarama, en commune Ruyigi.

    Cet homme au visage allongé avec courte chevelure noire parsemée de quelques cheveux blancs dit avoir quitté sa 5eme primaire pour entrer dans les mouvements rebelles et combattre au côté d’un mouvement armé dont il préfère ne pas citer le nom pour sa propre sécurité..

    [Lire la suite du témoignage….->https://www.isanganiro.org/spip.php?article13702]

    {{La politisation des jeunes et son impact dans les familles }}

    Léonce Ngendakumana, vice-président du parti Sahanywa Frodebu, déplore cette manipulation politique des jeunes : “Cela creuse un gouffre au détriment du développement du pays et c’est une porte d’entrée de la misère dans les familles”.

    Nancy Ninette Mutoni, chargée de la communication du parti au pouvoir CNDD-FDD, met aussi en corrélation l’engagement des jeunes en politique et le développement du pays. Le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Therence Ntahiraja, précise cette corélation: “La manipulation des jeunes avec l’administration de drogues qui les amènent à brûler vif un individu comme Nyakabiga en 2015, avec l’entraînement à manipuler les armes ou être dans les mouvement rebelles, tout ca, c’est une perte pour le pays. Ces jeunes pourraient devenir des pères ou mères des familles. Mais beaucoup finissent tués. Il s’agit d’une perte pour le pays et pour les familles.”

    {{Des outils de redressement de la jeunesse }}

    Après la récente crise de 2015, le ministère de l’Intérieur a créé deux centres de reéducation des jeunes en province. Ces centres sont situés au sud et à l’Est du Burundi, successivement en Rumonge et Ruyigi. Les conditions réservées aux jeunes y sont très rudes, comme le relatait Iwacu lors d’un reportage.

    “Il s’agissait des centres de transit pour les jeunes qui ont été arrêtés en 2015 en pleine manifestation ou lors des attaques dans différents coins du pays”, nous révèle Therence Ntahiraja. Après de multiples séances de formation patriotiques, plus de 90 jeunes ont regagné leurs familles. “Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas des autres qui restent emprisonnés”,dit-il.

    En plus des formations patriotiques dispensées par le ministère de l’Intérieur, l’organisation “Healing et Rebuilding our Communities” (HROC) propose des formations aux jeunes des universités et des quartiers contestataire pour guérir de leurs traumatismes. “Via des formations dites HROC de base, les jeunes subissent des séances de trois jours pour découvrir les causes, les symptômes et les conséquences des événements sources du traumatisme”, souligne le pasteur Elie Nahimana. Son objectif est que les jeunes comprennent qu’ils se sont méconduits et qu’ils soient accompagnés pour mener une bonne cohabitation avec leur entourage qui avait peur de lui. Cette méthode de guérison communautaire est encore peu connue. Elle consiste à rassembler les jeunes ayant vécu des moments douloureux pour témoigner, afin de les aider à reprendre le cours normal de leur vie.

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