Burundi : scandale autour des placements dans les microfinances

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    Attirés par des promesses de taux d’intérêt mensuels faramineux, des milliers d’épargnants ont placé leurs économies dans des institutions aujourd’hui accusées de pratiques douteuses. Les pertes, évaluées à plusieurs milliards de FBU, laissent des familles ruinées, sans recours clair ni garantie de restitution.

    ‎‎Elles promettaient des rendements mensuels défiant toute concurrence. Ces institutions de microfinances miroitaient à leurs clients des taux d’intérêt allant jusqu’à 60 % par an, des dépôts multipliés en quelques mois, et une prospérité accessible à tous. Mais derrière ces promesses mirobolantes, des milliers de Burundais ont vu leurs économies s’évaporer. « On avait placé 25 millions de FBU, il y a plus de deux ans. C’est également le montant qu’on a perdu, intérêts y compris. » , regrette une dame âgée de 37 ans qui vit dans la zone urbaine de Ngagara, dans la province de Bujumbura.

    ‎Ce placement censé assurer la stabilité de sa famille, grogne-t-elle, s’est transformé en cauchemar. Le contrat qu’elle avait signé avec la microfinance Ineza Iwacu (anciennement Coopdi) lui concédait le droit à des intérêts mensuels de 5%. « J’avais misé toutes mes économies sur cette offre, tout en espérant qu’un jour, je récolterais le maximum de bénéfices pour aménager le toit familial, afin de me libérer de ce fardeau qu’est le loyer. », confie-t-elle, avec amertume.

    ‎‎Hélas, sans se douter du piège qui se refermait sur elle, cette dame qui a requis l’anonymat, a vu son rêve se dissipait de fil en aiguille : « Après que le contrat de travail de mon mari est arrivé à terme, la famille s’est retrouvée sans revenus, avec un capital bloqué et des dettes qui s’accumulent. »

    Aujourd’hui, seule cette dame a un emploi, et son revenu ne suffit pas à couvrir les besoins essentiels de la famille. Le rêve d’un placement rentable s’est mué en une instabilité financière profonde. « Je me suis rendu au siège de cette institution pour récupérer mon argent, mais sans succès. J’ai même envoyé plusieurs lettres au DG de cette microfinance, sans qu’il puisse me donner suite. Mon recours aux instances judiciaires reste jusqu’ici sans effet. », se lamente-t-elle.

    Le soupçon d’un vol organisé

    ‎‎Un autre jeune homme âgé de 35 ans habitant le quartier Cibitoke, révèle avoir subi le même sort : « J’avais placé 9,6 millions de FBU auprès de RCF Nyunganira, en attendant mon voyage » .

    ‎‎Néanmoins, explique-t-il, ce montant issu d’un crédit sur salaire, devait simplement être gardé en sécurité. Mais, la microfinance n’a jamais versé les intérêts promis, ni restitué le capital. « On n’aurait jamais cru qu’on allait être escroqué, car c’est une microfinance qui affiche une pancarte à l’extérieur indiquant qu’elle est agréée par la Banque centrale, pointe-t-elle. À l’intérieur de cette institution, il y a une note montrant cet agrément. Une autre chose qui m’avait inspiré confiance, c’est le contrat que j’ai signé avec 2 copies dont l’une pour moi et l’autre pour l’institution, également signé par des responsables, avec une mention indiquant qu’ils reçoivent une somme de neuf millions six cent mille francs burundais à la date du 5 décembre 2024 pour mon cas, et qu’à cette même date de chaque mois, un intérêt sera versé sur le compte. Ce qui n’a jamais été le cas. »

    Le comble du malheur, déplore-t-il, chaque mois, une partie de son salaire est prélevée pour rembourser le crédit, alors que les fonds restent inaccessibles. « Mon projet de voyage est tombé à l’eau, et la vie quotidienne est devenue un combat contre l’endettement depuis le mois de janvier 2025. »

    ‎ Une réponse institutionnelle encore limitée

    ‎Face à la multiplication des cas de fraude et de détournement de fonds dans certaines institutions de microfinance, la Banque de la République du Burundi (BRB) a réagi. Selon Simplice Nsabiyumva, Directeur de la supervision et de la stabilité financière, la BRB s’efforce de récupérer les fonds détournés, notamment dans les groupements financiers communautaires classés en quatrième catégorie.

    ‎Toutefois, il reconnaît que les remboursements complets sont rares, car la récupération totale des fonds reste difficile. Lors d’une conférence de presse tenue le 20 octobre 2025, M. Nsabiyumva a rappelé la classification des institutions de microfinance en quatre catégories qui sont entre autres, les sociétés anonymes et les fonds (1ère et 2e catégorie), toutes deux soumises à un capital minimum d’un milliard de FBU, mais seules les sociétés anonymes peuvent recevoir des dépôts et octroyer des crédits. D’autre part, les coopératives (3e catégorie), fondées sur la solidarité, ont un seuil de 500 millions de FBU et exercent les mêmes fonctions. Et enfin, les groupements financiers communautaires (4e catégorie), informels et non garantis, qui se limitent à la collecte de cotisations.

    Ce cadre de la BRB fait savoir que seules les institutions de la 1ère et 3ème catégorie sont autorisées à recevoir des placements et à octroyer des crédits. « Les autres ne peuvent que collecter les cotisations de leurs membres. Pourtant, ce sont souvent les groupements de 4e catégorie qui promettent des taux d’intérêt mensuels irréalistes, allant jusqu’à 8 %, soit près de 96 % par an, bien au-delà du taux légal de 7 % annuel. Je qualifie ces gens de voleurs. » , a-t-il lâché.

    ‎‎Par ailleurs, explique-t-il,  les institutions de la 1ère et 2e catégorie doivent déposer un capital de 1 milliard de FBU. Celles de la 3e catégorie, 500 millions de FBU. Pour la 4e catégorie, le capital fixe n’est pas encore déterminé. « A cela s’ajoute le fonds de résolution et de garantie, qui est en cours de mise en place, et qui prévoit un remboursement initial de 3 millions de FBU en cas de faillite. Toutefois, les groupements de 4e catégorie ne sont pas concernés par ce mécanisme. » , glisse-t-il.

    ‎ Des pertes massives et une vigilance insuffisante

    ‎‎Le pays compte aujourd’hui 88 institutions de microfinance, 15 banques et plus de 136 groupements financiers communautaires, dont plus de 30 sont impliqués dans des pratiques frauduleuses, selon les données fournies par la BRB. Les pertes cumulées dépasseraient 10 milliards de FBU. Certaines familles, ruinées, tirent le diable par la queue et ne savent plus à quel saint se vouer.

    Autre problème majeur, c’est l’absence de fonds de garantie pour les épargnants. Contrairement à ce que prétendent certains gérants de ces institutions de microfinance, aucun fonds n’est déposé à la BRB pour couvrir les pertes en cas de faillite. Interrogé sur les raisons de l’inaction de la BRB face à ces dérives, le Directeur de la supervision et de la stabilité financière à la BRB, a avoué que certains commissaires aux comptes, chargés de surveiller ces institutions, étaient complices, fournissant de faux chiffres. Une révélation qui a glacé l’assistance.

    ‎‎ Il y’a anguille sous roche

    ‎Selon Faustin Ndikumana, directeur national du Parcem, toute activité d’une entreprise, d’une entité, ayant vocation à collecter l’épargne du public et accorder le crédit au public, doit requérir l’autorisation de la Banque Centrale, parce que ces activités de microfinance interfèrent dans la politique monétaire, et celle-ci doit être contrôlée par la Banque Centrale. « C’est entre autres pour éviter des effets inflationnistes liés au phénomène de la création monétaire incontrôlée qui pourrait découler de ces activités de donation de crédit de ces microfinances. Donc, la Banque Centrale a normalement des mécanismes pour contrôler ces institutions de crédit. » , souligne-t-il.

    ‎‎Pour M. Ndikumana, la Banque Centrale doit surveiller la ration des fonds propres afin de voir si une entreprise de microfinance a suffisamment de fonds propres pour exercer ces activités. « Comme pour d’autres institutions financières, il y a ce qu’on appelle les rations. Surtout au moment du capital de démarrage, il faut vérifier que si ce capital a été libéré en entièreté. Parce qu’il y a toujours des cas où les fondateurs de ces entreprises de microfinance se contentent d’utiliser l’argent du public seulement sans libérer leur propre capital. » , renchérit-t-il.

    ‎‎Faustin Ndikumana précise que la ration de trésorerie pour vérifier la trésorerie de ces entreprises, vis-à-vis des charges et des demandes de crédit ou de retrait, et la ration de solvabilité doivent aussi être contrôlé et surveillé par la BRB pour voir même s’il n’y a pas de créances en souffrance, litigieuse ou contentieuse.

    ‎‎Bien plus, insiste cet activiste de la société civile, il y a aussi un seuil de réserve obligatoire imposé aux banques commerciales par la BRB. « Donc, je crois que la Banque centrale ne devait pas se dédouaner, et dire que s’il y a des cas où il y a de la tricherie, cela ne le concerne pas. La Banque centrale doit avoir un droit de regard, de contrôle et de surveillance à travers ces mécanismes. » , éclaire-t-il.

    ‎La Banque centrale, conclut-t-il, pourrait même inventer d’autres mécanismes innovants pour vraiment recadrer le fonctionnement de ces institutions financières, en l’occurrence les microfinances.

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